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Contre-Jour #1 : Le traducteur



Traduire, c’est trahir.


Cet adage place le traducteur dans une position délicate, comme s’il devait justifier sa pratique. Pour aborder son travail, il a alors le choix entre deux écoles : sourcier ou cibliste. Les sourciers privilégient le texte original (la « source ») tandis que les ciblistes privilégient le public (ils « ciblent » un public français et s’écartent plus facilement de la traduction littérale). Dans les deux cas c’est un métier de longue haleine et j’ai demandé à Sébastien Guillot (ancien éditeur et désormais traducteur de Blade Runner de Philip K. Dick et de La stratégie Ender d’Orson Scott Card, pour ne citer que deux titres) de nous parler plus en détails de son métier.


S’il existe aujourd’hui des écoles de traduction, ce n’était pas encore le cas il y a quinze ans, lorsque Sébastien Guillot rend ses premières traductions. Il s’est donc formé seul après 12 années passées dans les bureaux de Calmann-Lévy en temps que directeur que collection. Sa reconversion professionnelle, si elle n’est pas aux antipodes de son métier d’éditeur, s’est tout de même opérée doucement.


« Se tester et être testé »


Certains traducteurs débutent leur carrière par des révisions de traduction. Il s’agit de corriger, d’épurer un texte dont la traduction française a déjà été publiée, afin de le remettre au goût du jour. Cet exercice n’a pas d’enjeu décisif et permet donc à l’éditeur et au traducteur naissant de s’apprivoiser. C’est ici l’un des noeuds importants du métier de traducteur : le réseau. (Nous verrons dans les prochains articles que les relations et les rencontres entre tous les acteurs de la chaîne du livre définissent le monde éditorial.) Quand Sébastien Guillot a exprimé son souhait de s’exercer à la traduction, on lui a, selon sa demande, d’abord confié une révision de traduction. Cela permet lui a permis de « se tester et d’être testé ». Une fois le texte rendu il s’agissait de le corriger. C’est un travail éditorial qui consiste en de nombreux allers-retours entre l’auteur et l’éditeur, que ce soit une traduction ou un texte original. Quand un binôme auteur-éditeur fonctionne bien, il perdure. Aussi les éditeurs font appel aux traducteurs qu’ils connaissent, avec qui ils ont l’habitude de travailler. Sébastien Guillot explique que ce n’est pas parce qu’on travaille pour telle ou telle maison (ou collection) que ce sera toujours ainsi. On suit plutôt les personnes que les maisons. Aussi, si une collection change de directeur de collection, il se peut que les traducteurs changent aussi, que le nouvel éditeur désire travailler avec son équipe de traducteurs habituels.

Pour obtenir des contrats de traduction le réseau est donc primordial même s’il y a aussi une part de chance dans chaque publication réussie, autant pour l’éditeur que le traducteur. En effet, si l’oeuvre traduite devient un best-seller, cela influence fortement la notoriété du traducteur qui se voit alors proposer des textes plus intéressants et mieux rémunérés. Sébastien Guillot m’explique par exemple que pour Guillaume Fournier, traduire Hunger Games a été un véritable tremplin. Le succès de la trilogie a permis de donner de la valeur à son CV de traducteur.


Un métier solitaire


En plus d’être un métier précaire — le traducteur est toujours à la recherche d’un nouveau contrat, même quand il dispose d’un bon réseau —, c’est un métier solitaire. On est seul avec un manuscrit, son ordinateur et ses dictionnaires.

« On pourrait réellement vivre en ermite si on le voulait ! » plaisante Sébastien.

Pour contrer cette solitude parfois pesante et se plier au retro-planning, Sébastien Guillot travaille désormais dans un espace de co-working avec des collègues indépendants faisant également partie du monde éditorial — ce qui, en plus, lui permet de se tenir au courant de l’évolution constante de ce milieu. Ainsi il se contraint à des horaires précises qui lui donnent une rigueur et lui évite de procrastiner.


Le système de rémunération


À la différence de l’auteur qui touche un à-valoir avant la publication de son roman et ensuite un pourcentage de droits d’auteur sur chaque vente, le traducteur est quant à lui généralement payé au feuillet (constitué en général de 1500 signes). Les tarifs sont très variables d’un texte à l’autre et d’une maison à l’autre, cela oscille entre 12 et 20€ le feuillet.

Le traducteur répondant également à une logique d’auteur — on parle d’ailleurs « d’auteur de traduction » et on lui demande de signer le BAT (Bon A Tirer : le fichier définitif qui sera envoyé à l’imprimeur) — il touche aussi un pourcentage, souvent de 1% à 3% sur les ventes.

Aussi, selon la longueur du livre et son succès, il arrive que le traducteur soit mieux rémunéré que l’auteur lui-même s’il est rémunéré au forfait sur feuillet.


Entre auteur et porte-parole


Si la règlementation reconnait le traducteur comme un auteur, Sébastien Guillot se définit plutôt comme « un artisan et non pas comme un créateur. J’ai dans l’idée de rendre au français quelque chose d’existant ». Il ne se considère pas non plus comme la voix d’un auteur dans le sens où ce qu’il a traduit, un autre aurait aussi pu le traduire. Sa position a également évolué à mesure de son expérience et s’il était plutôt cibliste lors de ses premiers travaux, il est aujourd’hui plus proche des textes originaux (sourcier). Pour rester fidèle au texte original et à l’intention de l’auteur, il arrive parfois au traducteur de contacter l’auteur. C’est très personnel et chaque traducteur ne travaille pas de la même façon : certains ont besoin d’échanger avec les auteurs sur les textes quand d’autres, comme Sébastien Guillot, ne les interrogent que rarement. Pour lui, un simple mail suffit à lever le doute sur une tournure, un contexte. Certains échanges avec les auteurs pouvant même être source de déception, il préfère se concentrer sur le texte en lui-même.

Sébastien Guillot a également été confronté à une confusion assez fréquente : celle de superposer, et donc de confondre, la figure du traducteur à celle de l’interprète. Certes, ils rendent tous deux en français les propos d’un auteur mais ce ne sont absolument pas les mêmes métiers, ils ne mobilisent pas les mêmes compétences ! Aussi, lorsqu’on lui a proposé de doubler l’un des auteurs qu’il a traduit pendant une conférence, il ne s’en est pas senti capable. Le traducteur travaille avec du matériel à sa disposition, notamment des dictionnaires, unilingues et bilingues, et surtout dispose de temps et d’un matériau permanent : le texte. Il manie la langue, prend le temps de soigner ses tournures et de rendre un style, une plume. Rien à voir avec une personne entièrement bilingue dont le cerveau aurait la capacité de retenir des propos oraux et de les répéter dans une autre langue.


Déformation professionnelle


Sébastien Guillot me confie qu’il n’a « jamais aussi peu lu que lorsqu’il était éditeur » et qu’il a encore, en temps que traducteur, du mal à choisir ses lectures. Parce qu’il voit tous les mécanismes d’écriture, parce que son regard professionnel a levé le voile sur le lecteur innocent qu’il était. Par exemple, il m’explique qu’il ne croit plus aux personnages qui parlent au passé simple. Cela le sort de l’histoire, perd tout vraisemblable. L’utilisation du passé simple est un signe que le texte a été traduit car c’est un temps utilisé fréquemment dans d’autres langues (en italien par exemple) mais qui n’est pas utilisé à l’oral en français. Donc, chaque fois qu’un personnage s’exprime au passé simple, son plaisir de lecteur s’envole et ses réflexes de traducteur reprennent le dessus.


Un métier qui sort de l’ombre…


Aujourd’hui, on commence à s’intéresser davantage aux traducteurs. Certains apprécient cette mise en avant et l’encouragent tandis que d’autres préfèrent rester dans l’ombre. En effet, les traducteurs sont principalement connus d’un micro-milieu, ils suivent l’éditeur qui leur fait confiance, et il arrive souvent qu’on leur confie plusieurs textes d’un même auteur pour garder une cohérence d’écriture dans l’ensemble d’une oeuvre.

Mais parfois, c’est le nom du traducteur qui va faire le succès d’une oeuvre. Se reposent alors les questions d’artisan et de créateur. Par exemple, Clémentine Beauvais est une autrice mais également une traductrice. Lorsqu’on lit l’une de ses traductions, on reconnait sa plume d’autrice. Les éditeurs jouent d’ailleurs là-dessus et insistent en promotion, généralement grâce à des bandeaux « traduit par Clémentine Beauvais » ou carrément sur la couverture comme pour le livre Inséparables de Sarah Crossan.

On se rend bien compte que la patte du traducteur a son importance, qu’elle peut transparaître dans le texte. Mais alors, qu’en est-il de la plume de l’auteur original ?


Autre point éthique dont les éditeurs discutent souvent avec les traducteurs : Et si l’on considère personnellement que l’auteur écrit mal ? Le traducteur doit-il pour autant changer le style ? Doit-on faire mieux que le texte original ? Est-ce que les transpositions apportées relèvent de la correction ou de la modification ? Où est la limite ?


Les avis sont divergents et de nombreuses tables rondes affrontent ces problématiques lors des salons du livre. Mais qu’en pensent les lecteurs ? Qu’en pensez-vous ?


 



Je vous propose également d’écouter ce merveilleux podcast Backstage, le podcast #5 : Josée Kamoun. Une traductrice qui parle de son travail avec beaucoup d’humour.

 



Un grand merci à Sébastien Guillot pour cet entretien enrichissant.


On se retrouve dans quelques semaines pour le prochain article de Contre-Jour ! En attendant, n'hésitez pas à partager ce premier épisode et me donner vos premières impressions ;)

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