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Paris, 13 novembre 2015…

Je suis morte ce soir-là, et je vous regarde souffrir depuis là-haut. Je

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Je riais pleinement, j’étais heureuse, j’étais à cette terrasse de café à profiter de la vie, mais l’acier de la balle a gelé mes éclats de rire. La balle n’avait rien demandé, moi non plus. Celui qui l’a tiré, je ne l’ai pas vu, lui non plus ne connaît sans doute pas mon visage, il a surtout tout fait pour l’éviter, ça lui aurait peut-être rappelé son humanité. Je suis tombée, traumatisant mes amis pour les jours qu’ils ont encore, et je suis restée à crever sur le bitume avec une dizaine comme moi. J’ai laissé là mon corps de jeune diplômée, cette enveloppe charnelle que j’avais appris à aimer. J’ai abandonné mes projets d’avenir, mais de toute façon, après un drame de ce genre, quand bien même je n’aurais pas été touchée, je n’aurais pas voulu d’enfants. Je n’aurais pas voulu qu’ils voient ce dont l’Homme, car ce sont bien des Hommes qui ont tiré, est capable. Et je pense à mes parents, sur lesquels je ne peux pas veiller ce soir, je pense au trou dans leurs cœurs, je sens comme l’air glacé qui s’y faufile en brûle les parois à chaque souffle. Je ressens leur détresse et je ne peux rien faire, je ne peux plus déposer mes doigts sur les épaules nouées de ma mère, je m’en remet à la confiance de nos souvenirs. Je suis heureuse de ma vie, des beaux moments accomplis, et je regrette de ne pas pouvoir écrire la fin de l’histoire, de la laisser en brouillon. Je vois les pages de l’agenda remplies, tous ces lapins que je vais poser aux gens sans le vouloir, sans l’avoir décidé. Je pense à ce présent qui était il y a quelques heures encore, que je vois filer, j’étais heureuse justement, épanouie enfin, je voulais tout savoir, j’avais soif d’apprendre, je n’ai pas pu finir mes livres, je tombais dans les douceurs de l’amour, je n’ai pas pu sentir sa caresse, tout cela je l’ai laissé, la tasse de café brisée par les secousses. Les oreilles de mes amis n’entendent plus que la détonation du pistolet, leurs paupières ne se ferment plus, leurs pupilles ne voient plus que mon sourire qui se déforme, et leurs cœurs ne battent plus ils remplissent seulement leur fonction biologique. Eux souffrent plus que moi. Je dois faire le deuil de ma vie, de mes projets, eux doivent les mener à bien après avoir vu la couleur de la mort.

Je suis morte ce soir-là, j’ai dû abandonner mes belles années pour leurs idées à la noix et leur dieu qui n’existe pas. Car je suis là-haut à présent, et les Dieux me l’ont dit : aucun d’eux ne prône de tuer en leur nom. Et moi qui n’ai toujours eu foi qu’en des principes, cette parole-là je la crois.

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